Le 3 janvier 2025, le ministre de l’Économie et des Finances de la Mauritanie a émis une directive officielle demandant aux entreprises opérant dans le pays, y compris les multinationales, de s’abstenir de recruter des retraités mauritaniens. Cette décision, bien que potentiellement guidée par des préoccupations de justice sociale et d’équité sur le marché de l’emploi, a immédiatement suscité des débats sur sa portée, sa légitimité et ses implications économiques, en particulier dans un contexte de mondialisation croissante où des acteurs majeurs jouent un rôle prépondérant dans l’économie locale.
Une extension discutable des prérogatives ministérielles
Traditionnellement, les responsabilités du ministre des Finances se concentrent sur la gestion des ressources publiques, la régulation fiscale et la définition des priorités budgétaires. Cependant, cette intervention dans la gestion des ressources humaines des entreprises privées, et particulièrement des entités internationales, semble élargir le périmètre d’action ministériel de manière inédite. En effet, empêcher une entreprise de recruter des techniciens retraités, qui restent une ressource précieuse en termes de savoir-faire et d’expérience, pose des questions fondamentales sur la séparation des compétences entre le gouvernement et les opérateurs économiques.
Une telle initiative peut être interprétée comme une tentative d’imposer un modèle protectionniste sur un marché pourtant intégré dans les flux internationaux. Elle invite également à s’interroger sur l’équilibre entre l’autorité de l’État sur les questions d’emploi et la liberté des entreprises de gérer leurs besoins opérationnels en fonction des exigences globales.
Les motivations implicites : justice sociale ou interventionnisme excessif ?
À première vue, cette directive peut être perçue comme une mesure visant à préserver les opportunités d’emploi pour les jeunes Mauritaniens dans un contexte où le chômage des jeunes demeure une problématique préoccupante. Par ailleurs, elle pourrait s’inscrire dans une logique de maintien des compétences locales dans des secteurs stratégiques, en évitant que les retraités qualifiés soient absorbés par des entreprises privées, au détriment du service public ou des industries nationales.
Cependant, cette approche soulève des interrogations : ne risque-t-elle pas de nuire à la compétitivité du pays en limitant l’accès des entreprises à une main-d’œuvre expérimentée et immédiatement opérationnelle ? De plus, elle pourrait avoir des conséquences négatives sur l’attractivité de la Mauritanie auprès des investisseurs étrangers, qui recherchent des environnements favorables à la flexibilité de leurs pratiques de recrutement.
Disparités dans les normes de retraite : un enjeu culturel et économique
Dans de nombreux pays européens, l’âge légal de la retraite est fixé à 65 ans, voire au-delà, alors qu’en Mauritanie, il est à 63 ans. Cette différence structurelle crée un décalage dans la perception de la disponibilité et de la capacité productive des retraités. Pour des multinationales comme BP ou Tasiast, les techniciens mauritaniens ayant atteint l’âge de la retraite nationale représentent souvent une force de travail encore pleinement compétente, susceptible d’apporter une valeur ajoutée considérable dans des secteurs exigeants où l’expertise est primordiale.
Empêcher ces entreprises de recruter de tels profils revient à ignorer les dynamiques globales du marché du travail, où l’expérience et la spécialisation sont des atouts stratégiques. Cela pourrait également générer une fuite des talents mauritaniens vers d’autres juridictions plus permissives.
L’État mauritanien et la valorisation des retraités
L’État mauritanien pourrait valoriser l’expertise des retraités en les intégrant dans des programmes de mentorat pour former les jeunes, des conseils stratégiques pour orienter les politiques publiques, ou des projets de développement locaux. Leur réinsertion ponctuelle comme consultants ou leur soutien à l’entrepreneuriat grâce à des incitations financières renforcerait leur contribution à l’économie. Enfin, leur mobilisation dans des initiatives internationales et régionales transformerait ce capital humain en un levier clé pour le développement durable et la compétitivité nationale.
Un risque pour la souveraineté des entreprises et l’attractivité économique
En s’immisçant dans les politiques internes des entreprises étrangères, cette mesure pourrait être interprétée comme une ingérence dans leur autonomie décisionnelle. Les multinationales, qui opèrent selon des normes internationales et des stratégies globales, pourraient percevoir cette restriction comme un signal négatif sur l’environnement des affaires en Mauritanie.
À long terme, de telles interventions risquent de nuire à l’attractivité économique du pays, en dissuadant les investisseurs potentiels et en compromettant les efforts pour intégrer pleinement la Mauritanie dans les chaînes de valeur internationales.
Vers une approche plus stratégique : l’impératif de réformes équilibrées
Plutôt que d’adopter des mesures restrictives susceptibles de générer des tensions avec les acteurs économiques, il serait plus pertinent pour le gouvernement de mettre en place des politiques incitatives. Ces initiatives pourraient inclure des partenariats public-privé pour renforcer la formation des jeunes Mauritaniens, des programmes de mentorat associant retraités expérimentés et nouvelles recrues, ou encore des incitations fiscales pour encourager l’embauche des jeunes diplômés.
En parallèle, garantir la liberté des retraités de prolonger leur activité professionnelle, notamment dans des secteurs où leurs compétences sont précieuses, permettrait de maintenir un équilibre entre les besoins des entreprises et les aspirations des individus.
Conclusion : un équilibre à redéfinir entre intervention publique et marché libre
Bien que cette mesure puisse être animée par une volonté légitime de protéger l’emploi des jeunes et de préserver les ressources locales, elle semble contre-productive sur le plan économique et problématique en termes de gouvernance. Une approche plus nuancée, articulant régulation nationale, liberté des entreprises et compétitivité internationale, serait essentielle pour garantir à la fois la croissance économique, la stabilité sociale et l’attractivité du pays auprès des investisseurs étrangers. Ce défi appelle une réflexion approfondie et un dialogue constructif entre toutes les parties prenantes.
Ecrit par le Directeur de Publication de l’Agence El Hodh d’Information
L’ingénieur El Hadj Sidi Brahim Sidi Yahya
Nouakchott, le 9.01.2025