Quand l’injustice prévaut : Témoignage poignant depuis la raffinerie de Nouadhibou. - وكالة الحوض للأنباء

Quand l’injustice prévaut : Témoignage poignant depuis la raffinerie de Nouadhibou.

Jamais je n’aurais cru qu’un jour, plus de trente-trois années après cet événement gravé dans ma mémoire comme un cataclysme, je me retrouverais à écrire ce témoignage, non ...
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Jamais je n’aurais cru qu’un jour, plus de trente-trois années après cet événement gravé dans ma mémoire comme un cataclysme, je me retrouverais à écrire ce témoignage, non seulement pour revisiter un moment d’une gravité inouïe dans l’histoire de la raffinerie de Nouadhibou, mais également pour mesurer à quel point le fil fragile de ma vie aurait pu être tragiquement brisé ce jour-là. Ce récit aurait sans doute dû être écrit par d’autres, car il semblait que j’allais être parmi les âmes perdues, balayé par les flammes furieuses, consumé par la violence des détonations ou réduit à l’état de cendres ou de charbon par la déferlante incandescente. Cette description, bien que saisissante, n’est nullement une hyperbole, mais une réalité qui aurait pu être la mienne.

 Et pourtant, aujourd’hui, par une volonté divine insondable, je suis là, témoin de cette survie presque miraculeuse, ayant bâti une existence que je n’aurais jamais osé envisager dans l’immédiateté de cet instant de chaos. La Providence m’a accordé le privilège de fonder une famille, de voir naître une descendance vertueuse et de partager ma vie avec une épouse rare par son intégrité spirituelle, son dévouement absolu au bien-être et à l’éducation de notre foyer, et son inlassable engagement dans l’appel à Dieu. À Lui reviennent les louanges éternelles, car tout ce que je suis et tout ce que je possède n’est que le reflet de Sa miséricorde et de Sa bienveillance infinies.

J’ai été témoin de plusieurs incidents au cours de ma carrière, notamment des incendies à la raffinerie de Nouadhibou, où les équipes d’intervention de sécurité ont su démontrer une maîtrise remarquable face à des situations critiques et périlleuses. Parmi ces événements marquants, je conserve également en mémoire un incendie majeur survenu en 1984 dans une unité de gaz en Algérie, à une époque où je n’étais encore qu’un jeune ingénieur stagiaire en pleine formation pratique. Cependant, l’incident que je m’apprête à relater s’est révélé d’une nature d’une complexité nettement supérieure, à la fois par l’ampleur des risques qu’il impliquait et par la gravité des conséquences qu’il a engendrées.

À cette époque, la raffinerie opérait à pleine capacité, exploitant toutes ses unités, y compris celle considérée comme la plus sensible et dangereuse, l’unité de reformage catalytique, qui joue un rôle cruciale dans l’amélioration de la qualité de l’essence. Elle utilise un processus hautement sophistiqué nécessitait l’utilisation de l’hydrogène, un gaz reconnu pour sa volatilité extrême et son inflammabilité exceptionnelle. À cette fin, l’essence était soumise à des traitements rigoureux, traversant des réacteurs complexes et plusieurs fours capables d’atteindre des températures vertigineuses avoisinant les 500 °C.

Le système opérait sous des conditions de pression colossales, avec l’hydrogène maintenu à 24 bars, ce qui amplifiait de manière significative les risques d’un dysfonctionnement catastrophique en cas de fuite ou d’instabilité. Cette combinaison de facteurs – températures extrêmes et pressions élevées – instaurait un environnement industriel d’une vulnérabilité intrinsèque, rendu encore plus critique par les caractéristiques chimiques singulières de l’hydrogène dans un contexte aussi contraignant.

C’est alors qu’un événement d’une brutalité saisissante survint : une explosion de proportions dévastatrices éclata à l’intérieur des unités de production. L’incident révéla non seulement les limites des systèmes d’exploitation en place, mais aussi la fragilité inhérente à l’interaction entre la technologie avancée et la nature imprévisible des éléments.

Je suis pleinement conscient que les raffineries de pétrole sont marquées par une vulnérabilité intrinsèque découlant de la manipulation de substances hautement inflammables rendant les installations particulièrement exposées à des incidents catastrophiques tels que des incendies ou des explosions. Ces problématiques, combinées à la complexité de la gestion des infrastructures et des processus, confèrent aux raffineries un caractère intrinsèquement périlleux et stratégiquement critique.

Afin de faire face à ces risques multiformes, il m’incombait, en ma qualité de premier responsable de la fabrication, d’assumer la supervision stratégique et rigoureuse de programmes de formation continue, destinés à sensibiliser et à préparer les travailleurs à l’ensemble des menaces potentielles inhérentes à leur environnement professionnel. Ces initiatives préventives, conçues comme un pilier fondamental de la gestion des risques, avaient pour objectif non seulement de consolider la sécurité des processus opérationnels, mais également de garantir la protection des employés contre les dangers industriels, tout en veillant à la préservation de l’écosystème environnant et au respect des normes environnementales les plus exigeantes.

Dans ce cadre, j’ai entrepris une analyse approfondie et méthodique des différentes typologies de ces risques, ainsi que des stratégies les plus efficaces pour les prévenir et les gérer. Les conclusions de cette recherche ont été présentées de manière détaillée dans la salle de contrôle, dans le but de renforcer la sensibilisation des opérateurs aux dangers inhérents à leurs activités et d’accroître leur niveau de préparation. Parmi les risques identifiés, figurait en particulier la gestion des incendies au sein des fours de l’unité d’hydrogène, un scénario critique pour lequel l’ensemble des opérateurs avait acquis une compréhension exhaustive et une maîtrise pratique des protocoles d’intervention, grâce à un programme rigoureux de formation et de mise en situation réaliste.

Lorsque l’explosion retentit, alors que j’étais face à la salle de contrôle dominant la raffinerie, une vision saisissante s’imposa à moi : il me semblait que l’intégralité du complexe industriel était submergée par un nuage de flammes, dont les langues ardentes léchaient le ciel avec une violence inouïe. Animé par une urgence irrépressible, je me précipitai vers les installations. Mais à mesure que j’avançais, le feu s’éloignait. Ce n’est qu’en atteignant finalement l’unité de reformage de l’essence que j’ai réalisé que l’incendie s’était déclaré dans l’un des fours de cette unité critique.

Les mesures à prendre immédiatement étaient les suivantes : 

Arrêt immédiat du compresseur responsable de l’augmentation de la pression d’hydrogène dans le four. 

Injection de la vapeur d’étouffement dans le four pour éviter son explosion. 

Dépressurisation de l’hydrogène dans le circuit à l’atmosphère afin de faciliter son extinction. 

Injection d’azote dans la conduite d’hydrogène pour éteindre l’incendie, l’azote étant le seul agent capable d’éteindre les feux d’hydrogène. 

Ces protocoles faisaient partie du plan d’urgence, sur lequel nous nous étions entraînés de manière continue, et les équipes étaient prêtes à les appliquer avec efficacité et compétence.

Dans les instants critiques qui ont suivi immédiatement l’explosion, nous avons été en mesure de déployer, avec une efficacité exemplaire, une précision méticuleuse et un courage remarquable, l’ensemble des mesures préventives requises, et ce, malgré le risque imminent d’une propagation incontrôlée des flammes. Le rôle du personnel du laboratoire s’est avéré déterminant dans cette dynamique, illustrant une disponibilité hors pair et une aptitude exceptionnelle à nous prêter main forte dans un contexte de crise aiguë. Dans le même temps, nous avons mené à bien une procédure d’arrêt d’urgence des trois autres unités opérationnelles à ce moment-là, garantissant ainsi la préservation de l’intégrité de l’installation et l’atténuation des menaces d’escalade du péril.

Parallèlement à nos éfforts pour contenir l’incendie au niveau des unités de production, l’équipe de pompiers a mené, elle aussi, des interventions efficaces, notamment une extinction immédiate des flammes qui s’étaient propagées dans les regards situés sous les fours. Ces conduites, remplis de substances pétrolières hautement inflammables, représentaient une menace sérieuse pouvant provoquer une propagation catastrophique de l’incendie à l’ensemble des installations de la raffinerie, y compris les entrepôts et le port. Ils ont aussi établi un rideau d’eau pour protéger les équipements environnants et injecter la poudre sèche à l’intérieur du four en feu. L’équipe d’intervention a fait preuve, elle aussi, d’un professionnalisme et d’une précision remarquables, empêchant ainsi la survenue d’une catastrophe majeure.

Au bout de quelques heures, les colonnes de flammes, qui semblaient auparavant incontrôlables, commencèrent à s’atténuer graduellement, marquant un tournant décisif dans cet incident dramatique. Les cris de soulagement et les youyous de joie résonnèrent dans l’air, notamment ceux émanant de la secrétaire du directeur général Vatimetou mint El Baha, dont le comportement a incarné un courage exemplaire et un héroïsme digne d’admiration. Sa présence au cœur de ce moment empreint de gravité soulignait une audace rare, face à une situation où la moindre erreur aurait pu entraîner l’anéantissement total de la raffinerie, engloutissant non seulement les infrastructures, mais également toutes les vies humaines qu’elle abritait.

Ces équipes, englobant à la fois celle des unités de production, du laboratoire et de la sécurité, ont été formées dans le cadre de programmes de perfectionnement de haut niveau dispensés en France et en Algérie. Elles ont par ailleurs enrichi leur savoir-faire technique et opérationnel par une expérience pratique approfondie acquise à Qatar. Ce capital humain, fort de son expertise diversifiée, a finalement été sollicité par la Mauritanie pour assumer la gestion et l’exploitation technique de la raffinerie, dans le cadre d’une initiative nationale visant à valoriser et déployer les compétences locales au sein d’un secteur industriel d’importance cruciale.

En dépit de l’héroïsme incontestable des travailleurs de la raffinerie, qui ont lutté avec acharnement contre l’incendie ravageant ses infrastructures, incarnant les plus hautes valeurs de bravoure, de loyauté et de dévouement, leurs efforts titanesques n’ont pas reçu de véritable reconnaissance. Ces sacrifices, consentis au péril de leurs vies et de leur avenir professionnel, méritaient un hommage à la hauteur de leur engagement.

Ces véritables héros n’ont pas même bénéficié d’un simple mot de gratitude, encore moins d’une distinction ou d’un hommage à la hauteur de leur engagement, comme si leur exploit n’était qu’une tâche routinière dépourvue de toute valeur ou signification méritant la reconnaissance qu’impose un tel acte d’abnégation.

Dans une contradiction à la fois poignante et déroutante, les privilèges et distinctions honorifiques continuent d’être attribués à des individus ayant joué un rôle central dans le discrédit et l’effondrement progressif de la raffinerie. Ce paradoxe kafkaïen illustre une tragédie systémique plus profonde : celle de glorifier ceux qui ont activement contribué à sa ruine, tout en marginalisant et en ignorant ceux qui, au péril de leur propre vie, ont œuvré avec abnégation pour préserver ce bastion vital. Ce tableau absurde constitue un témoignage accablant de l’érosion des principes de justice et de la perversion flagrante des valeurs fondamentales d’équité et de reconnaissance.

Ecrit par l’Ingénieur El hadj SIDI BRAHIM

Ancien Directeur Technique de la Raffinerie de Nouadhibou

Nouakchott le 27.01.2025

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