Il y a quelques jours, j’ai publié une image d’Ain Farba, non pas telle qu’elle est, mais telle qu’elle aurait pu être : une bourgade rurale transfigurée en cité ordonnée, aux rues asphaltées et aux ponts élégants se déployant au-dessus de terres oubliées. Une projection, peut-être… un rêve numérique façonné par le contraste entre ce que nous vivons et ce que nous méritons.
Non, ce n’était ni sarcasme ni escapisme. C’était un cri contenu, lancé depuis les marges de l’oubli, un appel poignardant le silence de l’indifférence. C’était un miroir tendu à la conscience :
« Regarde, voici ce que tu pourrais être, si tu cessais de t’habituer à ta propre misère. »
Un quotidien qui ne tolère même plus l’idée du rêve.
Celui qui y a vu un rêve irréaliste est excusable, car comment croire à une telle vision alors que nous vivons une réalité qui ne laisse même plus de place au rêve ?
Ain Farba, dix jours durant, plongée dans une nuit sans fin : ni eau, ni électricité, ni bruit de vie. Tout s’est figé, sauf le cours du temps, indifférent. Et voilà que l’arrivée d’un filet d’eau devient une victoire, qu’un souffle de lumière fait l’objet d’une gratitude étrange — alors qu’il ne s’agit que d’un droit élémentaire, trop longtemps bafoué.
Un parallèle cruel : Singapour, ou l’ascension de la volonté
Remontons le fil de l’histoire. Il y a six décennies, nous partions du même point que d’autres nations. Singapour, en 1965, n’était qu’un territoire insulaire marécageux, démuni de ressources, gangrené par la pauvreté et les tensions ethniques. Pas de pétrole, pas de minerais, pas de terres fertiles. Et pourtant… aujourd’hui, cette cité-État incarne la réussite rationnelle, la puissance logistique, l’intelligence urbanistique et la rigueur institutionnelle.
Pourquoi ?
Parce qu’elle a misé sur l’intégrité, l’éducation et l’autorité morale.
Lee Kuan Yew, son bâtisseur, n’avait ni gaz ni fer sous les pieds — mais il portait dans son esprit la vision d’un État discipliné, gouverné par la loi et non par les caprices.
« On peut posséder toutes les ressources du monde, disait-il, mais sans hommes honnêtes et intelligents, on ne produit que du chaos. »
Et nous, de quoi sommes-nous riches ?
La Mauritanie regorge de trésors que la nature lui a généreusement confiés :
- Gisements de fer parmi les plus vastes d’Afrique,
- Or, cuivre, gaz naturel en cours d’exploitation,
- L’une des plus grandes zones de pêche au monde,
- Un cheptel de plus de 20 millions de têtes,
- Des terres fertiles et un littoral stratégique,
- Une position géopolitique reliant l’Afrique, l’Europe et l’Atlantique.
Et pourtant… pas de routes, pas d’ambulances, pas de planification urbaine, pas même l’élémentaire continuité des services vitaux à Ain Farba
Notre éloignement spirituel : le vrai déficit
Ce que nous vivons n’est pas la simple conséquence de la fatalité géographique ou du colonialisme passé. C’est le reflet d’un vide spirituel, d’une abdication morale devant les mécanismes de la médiocrité érigée en système.
Car oui, nous avons oublié Dieu, non pas dans les mots, mais dans les actes. Nous avons substitué l’intérêt personnel à la notion de responsabilité, l’allégeance au clan à celle de la compétence.
Le Coran nous rappelle :
« Si les habitants des cités avaient cru et pratiqué la piété, Nous leur aurions ouvert des bénédictions du ciel et de la terre… »
L’image n’était pas un délire… c’était une vision de ce qui est encore possible
Ce montage digital de Ain Farba n’était pas une blague graphique. Il était une projection de conscience, un appel solennel à rompre avec l’acceptation passive de la pauvreté.
Car nous ne sommes pas condamnés à l’obscurité.
Nous sommes simplement prisonniers d’un système sans volonté.
Entre la lumière et l’abandon, un choix demeure
Le rêve n’est pas le contraire du réel, il en est parfois la version la plus lucide.
Si nous choisissons la foi, l’intégrité, le travail et la solidarité — Alors Ain Farba deviendra cette ville de l’image, non par magie, mais par la volonté de ceux qui auront dit non à la résignation.
Du cœur de l’ombre peut jaillir la lumière.
Et du fond du délaissement peut naître le sursaut.
✍️ Par l’ingénieur El Hadj Sidi Ibrahim Sidi Yahya